5 mai 2015

La promesse (seconde partie)

une vieille moto
une vieille moto

 

Le lendemain, je partageai ma promesse et mes rêves avec un autre ami : Boga. Celui-ci les apprécia, me félicita et voulut aussi profiter de ma moto. Je lui proposai de prendre en charge le carburant, ce qu’il accepta rapidement avec plaisir. Il proposa aussi de passer l’emprunter de temps à autre pour ses courses personnelles. Ce que je ne pus lui refuser, lui qui me donnait du pain noir en période de vache maigre et me ressourçait en période de sécheresse. Et comme c’était le jour suivant seulement que mon oncle Mawuli viendrait à la capitale acheter une nouvelle moto et me remettrait l’ancienne, je demandai par manque et par profit à Boga de me donner comme première paye de carburant, deux mille francs CFA afin qu’en possession de la moto à la station du bus, je puisse le remplir d’essence. Il me les remit sans broncher, sachant qu’il conduira ma moto en contrepartie. Toute la journée, j’étais heureux. Aussi heureux que les fidèles de l’église Emisda qui louent le Seigneur pour ses bienfaits. La nuit, le jour refusait d’apparaître. L’angoisse prit place dans mes pensées et prit en captivité mon attention et surtout mon sommeil. Je repassais mentalement le film de la gloire que je me suis bâtie le jour. Je crus que le jour n’apparaîtrait jamais. Je m’encourageai par cet adage : « Quelle que soit la durée de la nuit, le jour apparaîtra ». Je ne vis même plus le jour apparaitre. Une légère et surprenante somme me transporta dans une révélation festive dans laquelle je filais à vive allure avec cinq vahinés toutes plus belles les unes que les autres sur ma selle quand subitement l’une d’entre elles me mit la main à l’aisselle pour me faire rire. Je me réveillai en sursaut. Oups ! Quelle était la fin ?

 
C’est à quatorze heures que nous devrions nous voir à la station principale. Je pris rapidement mon bain en marmonnant quelques hymnes à la gloire de Dieu Tout-Puissant qui me fit grâce de cette journée et surtout j’espérais fort, à une belle moto. Je m’y présentai à dix heures précises. Car cet oncle, enseignant de son état, avait fait de la ponctualité et du respect du temps fixé ses leitmotive. Et pour un léger retard, je risquais de ne plus être à moto. Cela, tout mon être ne pouvait le supporter. J’attendais, attendais encore, onze heures, bientôt quatorze heures me rassurais-je. Quand tout d’un coup, mon portable se mit à sonner. Je décrochai sans voir préalablement l’émetteur puis-qu’ayant les yeux rivés sur une des voitures qui débarquait une moto, quand je reconnus la voix de mon oncle. La tonalité de cette voix parlait d’elle-même. Elle était navrée pour un fait que je ne tarderai à apprendre. Devrait-il tarder à venir ou quelque chose lui était-il arrivé en chemin ? Cette fraction de seconde, mieux cette tierce qui sépara nos deux « allô » me fortifia sur toute éventualité, sauf pour une perte possible de moto.
Allo !
Allo !
Hum ! Sam on a volé la moto.
Quoi ? mes yeux se sont mis à couler d’eux-mêmes. Comme cherchant par là, à laver mon âme de ce rêve, de cette vision réaliste qu’elle s’insinua en elle, et s’en étant totalement imbibée. Elle qui se disait et enfin un, qui va à coup sûr se réaliser pour son confort et sa dignité.
Oh ! Sam pleures-tu ? Quelle question ? m’étais-je dit. Quel étudiant de ce pays ne pleurerait pas pour une promesse de moto avérée qui par miracle avortée.
Non oncle! je repoussai mes morves qui tentaient de s’écouler de mes narines.
Mais ne pleure pas. On a arrêté le voleur.
Quoi ? Vous l’avez appréhendé ?
Oui. Viens à Atakpamé régler cette histoire toi-même. Je vais te payer le déplacement. Le sourire chassa de droit les pleurs. L’espoir reprit sa place et cet optimisme propre à ceux qui ont tout perdu, me gagna. Ce qui me fit dire que je reviendrai ce soir à moto.
Ok ! je pars tout de suite.

 
Que mes ennemis sont méchants! Que le diable était jaloux de mon changement de statut ! Il voulait à tout prix m’empêcher d’atteindre mon rêve, mon salut. Je priai tout au long du trajet. Je liais par ma prière le diable et ses acolytes et ressassai le « Notre Père » jusqu’à ce que le sommeil ne me dérobe dans cette cabosse de voiture roulant à tombeau ouvert.
A mon arrivée vers dix sept heures, mon oncle me présenta Jo et me dit que ce fut lui qui captura le voleur en fuite et qu’il était sans moto. Je replongeai en l’espace de quelques secondes dans le noir. Et il continua en disant que le voleur se trouvait à la gendarmerie et qu’il disait qu’il avait remis la moto à ses complices qui étaient partis la vendre au Ghana voisin. Mais il n’aurait reçu avant son arrestation aucun pécule. Quand la police fit une descente dans la maison des complices, ils ont disparu. Jo se proposa devant mon oncle et moi de nous retrouver la moto où qu’elle se cachait. Et qu’il ira au fin fond des contrées à ses frais pour retrouver la moto à mon oncle car c’était lui qui l’avait enseigné jusqu’à ce qu’il n’obtienne son Certificat d’Études de Premier Degré (CEPD). Je ne puis dormir cette nuit pour deux raisons. La première, j’avais changé de logis ; la seconde, je pensais à ce bonheur retardé, à ce rêve simple et léger compliqué par la vie et le temps, me prouvant une fois de plus que le facteur temps n’était et ne serait jamais l’allié des hommes et que la vie, jamais et au grand jamais ne serait facile. Je revisitai la facilité de cette promesse et en déduisit une action occulte.

 
Le lendemain, vers midi, Jo entra dans la concession de mon oncle tout excité au moment où il prenait tranquillement son déjeuner. A cet instant, je tentais de suivre un film ; film en réalité qui me dégoûtait fortement. Rien, ni personne ne fera mon bonheur si ce n’est une moto. Je fus appelé et Jo nous rapporta qu’il avait trouvé la moto au Ghana et qu’il faut que j’aille vérifier si c’est bien elle. Comme je ne connaissais guère ce pour quoi je fantasmais, mon oncle alla et s’assura que c’était bien elle, ma belle, ma moto. Que faire alors ? Les personnes détentrices de la moto disaient qu’elles l’avaient achetée hier à cent cinquante mille francs et qu’il fallait apporter au moins cent mille francs pour la reprendre et nous aurons tous deux perdu un peu d’argent, car disaient-ils : « Une farine renversée et ramassée ne pouvait plus remplir le bol », et qu’il nous fallait l’accepter ainsi. Ils nous expliquèrent clairement qu’aucun soldat togolais ne pouvait les arrêter, puisqu’ils étaient comme ceux du Ghana corrompus. Et si nous voulions revoir la moto, il nous fallait juste donner l’argent. Mon oncle me proposa cinquante mille francs et à moi grand étudiant, futur propriétaire de la moto, il me revint de chercher l’autre moitié. Et quelle moitié ? Moi qui n’avais point un franc.
Je revins à Lomé, et expliquai la situation aux amis. Kodzo et Boga me prêtèrent chacun dix mille francs et comme les aides accordées aux étudiants sont disponibles, je récupérai les trente mille francs que j’y ajoutai. Le compte était bon.

 
Le jour suivant, nous nous rendîmes au Ghana, la somme sérieusement préservée par Jo. Nous vîmes le frère de l’acheteur de notre moto. Il nous expliqua que son grand frère était parti à Dénou (marché) acheter un truc et qu’il reviendra bientôt et si nous le voulons, nous pouvons l’attendre ou nous pouvons déposer l’argent et les papiers de la moto et quand il reviendra on les lui remettra pour vérification. Après quoi, il laissera la porte ouverte quand il ressortira et nous pourrions simplement prendre notre moto. Jo me montra par la fenêtre la moto, ma moto. Franchement je fus déçu. La carrosserie semblait être éprouvée par les années d’usage et que dirions-nous du moteur ? Il sera tout autant éprouvé. Jo préféra laisser l’argent pour des raisons de sécurité parce que selon lui, les trafiquants qui opèrent à la frontière et entre les deux pays pouvaient nous le prendre de force. De plus, il avait un rendez-vous urgent à la maison. Le soir, nous reviendrons chercher ma laide, ma vétuste, ma hideuse moto.
Sauf que ce fut la dernière fois que nous vîmes Jo. Et la concession où s’étaient logés les acheteurs de ma moto n’avait jamais existé. Ce fut un taudis aménagé pour la circonstance. J’ai donc compris pourquoi nous ne devrions pas vendre la peau de l’ours sans l’avoir tué. Mon oncle et moi, nous nous mordîmes les doigts en nous rappelant cette sagesse africaine qui disait : « Lorsque l’épervier capture un poussin, on ne lui lance pas le reste des œufs ». Je l’appris à mes dépends. Je n’eus plus envie de rentrer chez moi de peur que les moqueries et mes dettes ne me plongent dans une dépression sans précédent.

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